L'économie de moyens selon Sade (Adu)

C'est en contredisant l'affirmation de sa chanson Never as good as the first time que j'entame cette chronique, que dis-je, cet éloge du groupe Sade - car c'est bien un groupe, oui, et non pas seulement une (sublime) chanteuse accompagnée de musiciens interchangeables.
Je me sens parfois l'âme d'un avocat pour cette musique mésestimée (notamment par les dépositaires du bon goût [rock] et de la "street credibility", hum) , trop souvent confronté à des gens qui n'y entendent que muzak, ameublement sonore ou autre "pop jazzyfiante" anodine (pléonasme).
J'ai moi-même mis pas mal de temps pour parvenir à donner toutes leurs chances à ces chansons éthérées et finement rythmées. En effet, j'ai dû pour ce faire vaincre mes préjugés ; ceux que m'avaient communiqués mon père dans un premier temps, lorsque dans les années 1980 il n'avait de cesse de railler cette "chanteuse sans voix" (tandis que ma mère avait, elle, prit un autre "non-chanteur" en grippe : Etienne Daho, vers qui il me fallut également en conséquence un certain temps pour cheminer et avoir accès aux beautés inouïes de son oeuvre) ; puis plus récemment, j'observais ce groupe avec la plus grande circonspection du fait qu'il était le préféré d'une ex qui m'avait laissé la nette impression d'être superficielle et glaçée... De là à faire l'amalgame avec l'image et les sonorités sans aspérités de Sade, il n'y avait qu'un pas que je franchissai allégrement !
Bon, j'ai finalement succombé aux charmes prégnants et inépuisables des tubes qui ont estampillé les

Je le comprends et l'appréhende toujours plus intimement depuis que je l'ai entendu, vraiment entendu (et pas seulement écouté, je veux dire) ; il m'est ainsi chaque fois meilleur que la première fois de le visiter (car c'est réellement un titre à l'intérieur duquel on peut pénétrer et chercher, plus ou moins objectivement, de nouvelles choses à chaque écoute).
Et ce que j'avance là est tout aussi vrai pour les morceaux de bravoure que sont Is it a crime, Pearls ou Jezebel, dans lesquels celle qui fait souvent l'effet d'être une princesse nubienne, hautaine, racée et imperturbable, puise en elle des cris déchirants qui n'ont rien à envier à ceux du gospel fervant des églises baptistes ou pentecôtistes, ou bien encore aux chants ancestraux des griots africains dont elle perpétue alors, d'une certaine façon - sophistiquée -, singulièrement l'héritage.
Enfin, lorsque l'on suit l'anglaise d'origine nigériane sur les entrelacs élégiaques de Like a tatoo ou de Haunted, on comprend combien celle qui - avec Tracey Thorn d'Everything But The Girl - a imposé, dans les eighties, une nouvelle façon de (non-)chanter, peut faire naître l'émotion d'une apparente frigidité ; bien consciente de limites techniques qu'elle transcende admirablement pour privilégier l'émotion filtrée d'un sentiment pudique, elle s'inscrit en cela dans la filiation de Billie Holiday, qui couvrait également un faible spectre vocal (seulement un octave et demi) mais en tirait elle aussi un parti inespéré.
Morceau choisi :
Sade, The Best of Sade (Sony, 1994)