Quand j'étais bidasse, Javier Marias m'initiait aux affres du coeur
Dans le sillage du précédent billet, je poursuis cette fouille dans ma mémoire à la recherche de ces chocs littéraires qui sublimèrent un épisode pénible - à la manière de ces roses qui poussent sur le fumier ; ils furent en cela d'authentiques initiations, là où l'armée échoua à m'inculquer quoi que ce soit d'autre que la conviction intime que j'allais m'y gâcher.
Un autre roman qui ensoleilla mon expérience grisâtre et avortée de l'armée de terre, c'est Un coeur si blanc de Javier Marias.
Derrière ce beau et mystérieux titre (emprunté à Macbeth et sa dichotomie innocence/culpabilité) se trouve un livre majeur - à mes yeux, du moins -, par la force et l'acuité du regard terriblement lucide - sans complaisance, aux antipodes des poncifs concertants - , pénétrant et inquiet qu'il porte sur le couple, et le mariage en particulier, cette institution redoutable - selon l'écrivain espagnol.
Redoutable, en effet, à ce titre qu'elle bouleverse radicalement la vie des deux protagonistes (dans le cas d'un couple sans enfant, qui ne vivait pas ensemble avant le mariage, selon le cas évoqué dans ce livre) qui vont, dès lors, connaître le traumatisme de la fin d'un certain mystère, au moment décisif et - a priori - irréversible de l'abandon des espaces initiaux respectifs, ces domaines propres à chacun ; en l'occurrence ici les appartements séparés à quoi l'on substitue la maison conjugale.
Le mariage - dans cette union-fusion qu'elle induit -, c'est encore l'autre que l'on n'attend plus - dans cette attente exquise qui est propre aux rendez-vous galants - pour aller dîner puisqu'il se prépare pour ainsi dire sous vos yeux, escamotant tout le mystère des préparatifs, tout le charme du rituel amoureux...
Cette dernière considération, en forme de regret, du narrateur - l'époux désorienté - qui est à ce niveau hautement éloquente, en cela aussi qu'elle entre en résonance avec les affres de la promiscuité dans le couple tels qu'ils sont (d)énoncés par Albert Cohen à travers les rituels complexes qui intoxiquent le couple terrible de Belle du Seigneur, au sein duquel Solal éprouve notamment une vive répugnance à l'idée desdits préparatifs (du corps, s'entend) d'Ariane, laquelle s'emploie donc à ne paraître devant lui que parfaitement apprêtée.
C'est bien de cela dont il s'agit ici : de ces fautes de conjugaison qui distinguent la théorie de la pratique ; ces couacs dans l'union amoureuse qui ne sont guère envisagés avant d'être vécus, subis et déplorés dans le malaise accompagnant subséquemment la concrétisation du couple. Post gamos animal triste, en quelque sorte...
Drôle de chronique que celle-ci, où je parle d'un livre lu au siècle dernier (l'an 2000 fut en effet le dernier feu du vingtième siècle ) - et jamais relu depuis ; et aussi, comme pour ôter définitivement tout crédit à ce billet - mais puisqu'il faut être tout à fait honnête - d'un roman jamais lu encore, celui, collossal et intimidant, d'Albert Cohen... (qu'il me pardonne cette imposture. ) A propos de mon apparente fumisterie, je vous renvoie à >>cet article<< que j'avais justement consacré à ce principe contestable (?) d'usurpation de lecture.
J'en termine en recommandant également la lecture d'un autre ouvrage de Javier Marias, le passionnant recueil de nouvelles Quand j'étais mortel (<== excellente critique au bout du lien ), dont l'une est précisément l'ébauche d'une situation qui, laissée en suspens, trouvera son développement dans Un coeur si blanc.
Un autre roman qui ensoleilla mon expérience grisâtre et avortée de l'armée de terre, c'est Un coeur si blanc de Javier Marias.
Derrière ce beau et mystérieux titre (emprunté à Macbeth et sa dichotomie innocence/culpabilité) se trouve un livre majeur - à mes yeux, du moins -, par la force et l'acuité du regard terriblement lucide - sans complaisance, aux antipodes des poncifs concertants - , pénétrant et inquiet qu'il porte sur le couple, et le mariage en particulier, cette institution redoutable - selon l'écrivain espagnol.
Redoutable, en effet, à ce titre qu'elle bouleverse radicalement la vie des deux protagonistes (dans le cas d'un couple sans enfant, qui ne vivait pas ensemble avant le mariage, selon le cas évoqué dans ce livre) qui vont, dès lors, connaître le traumatisme de la fin d'un certain mystère, au moment décisif et - a priori - irréversible de l'abandon des espaces initiaux respectifs, ces domaines propres à chacun ; en l'occurrence ici les appartements séparés à quoi l'on substitue la maison conjugale.
Le mariage - dans cette union-fusion qu'elle induit -, c'est encore l'autre que l'on n'attend plus - dans cette attente exquise qui est propre aux rendez-vous galants - pour aller dîner puisqu'il se prépare pour ainsi dire sous vos yeux, escamotant tout le mystère des préparatifs, tout le charme du rituel amoureux...
Cette dernière considération, en forme de regret, du narrateur - l'époux désorienté - qui est à ce niveau hautement éloquente, en cela aussi qu'elle entre en résonance avec les affres de la promiscuité dans le couple tels qu'ils sont (d)énoncés par Albert Cohen à travers les rituels complexes qui intoxiquent le couple terrible de Belle du Seigneur, au sein duquel Solal éprouve notamment une vive répugnance à l'idée desdits préparatifs (du corps, s'entend) d'Ariane, laquelle s'emploie donc à ne paraître devant lui que parfaitement apprêtée.
C'est bien de cela dont il s'agit ici : de ces fautes de conjugaison qui distinguent la théorie de la pratique ; ces couacs dans l'union amoureuse qui ne sont guère envisagés avant d'être vécus, subis et déplorés dans le malaise accompagnant subséquemment la concrétisation du couple. Post gamos animal triste, en quelque sorte...
Drôle de chronique que celle-ci, où je parle d'un livre lu au siècle dernier (l'an 2000 fut en effet le dernier feu du vingtième siècle ) - et jamais relu depuis ; et aussi, comme pour ôter définitivement tout crédit à ce billet - mais puisqu'il faut être tout à fait honnête - d'un roman jamais lu encore, celui, collossal et intimidant, d'Albert Cohen... (qu'il me pardonne cette imposture. ) A propos de mon apparente fumisterie, je vous renvoie à >>cet article<< que j'avais justement consacré à ce principe contestable (?) d'usurpation de lecture.
J'en termine en recommandant également la lecture d'un autre ouvrage de Javier Marias, le passionnant recueil de nouvelles Quand j'étais mortel (<== excellente critique au bout du lien ), dont l'une est précisément l'ébauche d'une situation qui, laissée en suspens, trouvera son développement dans Un coeur si blanc.