"Lolita & l'Homme de l'ombre", ou quand Polanski adapte Nabokov
Hum. La culpabilité de Roman Polanski ne fait aucun doute, c'est un fait. Il a d'ailleurs reconnu sa responsabilité depuis longtemps déjà, au su et au vu de tous, comme j'avais pu le constater en lisant, il y a une dizaine d'années, Roman, son autobiographie, passionnante et sans fard.
« Il est aussi absurde de regretter le passé que d’organiser l’avenir. »
(Roman Polanski - Extrait de Roman.)
La mise en exergue d'une telle citation, extraite de cet ouvrage paru il y a vint-cinq ans, voudrait rappeler que l'auteur de Cul-de-sac (un titre prémonitoire ?!) n'a jamais chercher de faux-fuyant à son déplorable "écart" - pardon pour l'euphémisme - de 1977.
Cela n'excuse évidemment en rien son geste, que l'on pourrait qualifier de dérive pédophile et qui ne doit pas être l'objet d'une banalisation (du genre "okay, il a déconné, mais ça se passe comme ça dans le showbiz, c'est partouze et compagnie, alors bon, il n'est pas pire qu'un autre..."). Il serait odieux vis-à-vis de la victime, Samantha Geimer, de ne pas la reconnaître comme telle, quand bien même cette dernière se déclare consentante au moment des faits - la notion de consentement chez une enfant de 13 ans dans une affaire sexuelle n'ayant pas de réalité juridique.
Sans même trop délirer, on peut même se demander autour des machines à café si ladite victime n'a pas été encouragée, par tel ou tel moyen (l'argent, toujours lui ?...) pour décharger ainsi son présumé agresseur...?
Au-delà même du scandale intrinsèque au dossier, je trouve scandaleux les deux interventions de Frédéric Mitterand et Daniel Cohn-Bendit, prises de positions publiques aussi ineptes que dérangeantes. Le premier devrait cesser de se sentir autorisé à prendre parti sur des question extra-culturelles. Réagiraient-il d'ailleurs, son collègue ministre Bernard Kouchner et lui, avec autant d'ostentation et d'effusion si un septuagénaire lambda, avait été rattrapé de la sorte par un passé scabreux ; quant au second, alors même que j'avais vomi l'accusation abjecte que lui a récemment faite un François Bayrou à court d'arguments et en-dessous de tout, il serait bien avisé de ne pas se poser en moralisateur, surtout sur la question de la pédophilie, lui qui publia apparemment (je prends des pincettes, n'ayant pas lu les "sulfureuses" lignes incriminées par Bayrou) des écrits iconoclastes sur le sujet au crépuscule de l'ère hippie. Soit au peu près au même moment où le cinéaste franco-polonais dérapait à l'occasion d'une "soirée orgiaque" (là encore, le démon de la machine à café ! ) chez son pote Jack Nicholson...
Cela ne transparait peut-être pas beaucoup de ce billet mais je porte une estime sans bornes au réalisateur qui donna au Septième Art les inaltérables chefs d'oeuvre que l'on sait. Au premier rang desquels Tess (1979), qui voit le premier grand rôle à l'écran de Nastassja Kinski, que Polanski reconnaîtra - toujours dans son autobiographie - avoir connue bibliquement lors de la (longue) préproduction du film, laquelle débutera dès 1976. Or, il est apparemment impossible de connaître précisément la date de naissance de la belle Allemande, ce qui laisse envisager que, là encore, le cinéaste a pu avoir une relation sexuelle - pérenne, celle-là -, avec une mineure, Kinski ayant eu, au départ de cette période - 1976-1978 - entre 15 ans et 17 ans, selon que l'on situe sa naissance en 1959, 1960 ou 1961.
Bref, voilà qui alimente un peu plus les braises incandescentes du passé interlope de Polanski, en enfonçant le clou, peut-être, d'une propension naturelle, chez le cinéaste star, à s'amouracher de très jeunes femmes, voire de jeunes filles, ces nymphettes chères au Humbert Humbert du roman de Nabokov.
En définitive, cet article fait évidemment bien la part des choses entre l'homme - en l'occurrence délinquant sexuel - et l'artiste, un distingo qu'il nous faut toujours faire, les deux étant parfois fort dissemblables.
En outre, mon "coup de gueule" - car, si mesuré soit-il, s'en est un - à davantage vocation à être une condamanation des ces déclarations partiales intempestives - dont les politiques sont plus que jamais les apôtres malencontreux - qu'une voix au chapitre du procès Polanski, dont je ne prétends surtout pas être le juge, la morale n'étant pas mon fort - ni mon objectif d'ailleurs. Elle ne devrait même l'être pour personne, quand on médite la proposition suivante :
« La moralité est, à mon sens, la soumission servile aux opinions et aux régimes régnants que l'on trouve chez les hommes dépourvus de centre de gravité, de volonté et d'une intelligence lumineuse. L'immoralisme, c'est l'être-soi, libre, inflexible, impérieux, autonome. »
(Ladislav Klima, dont la "suréthique" amorale et libertaire peut se résumer à cette injonction hardie et quelque peu provocatrice : Fais systématiquement ce qui est interdit.)
Hum. En l'absence de plaignante physique - Samantha Geimer (indemnisée depuis) se désolidarisant de cette procédure, l'unique accusation procède donc de l'entité impersonnelle qu'est la justice américaine -, on peut surtout se demander à qui profitera cette virtuelle sanction tardive... Sans appeler à une délicate mansuétude sur le principe d'une inappropriée prescription, je me permets tout de même de poser cette question pas si illégitime : à qui profitera le procès annoncé ?
Polanski a déjà effectué quarante-deux jours d'incarcération à l'époque dans le cadre de cette affaire, fuyant le pays après avoir compris que la peine initiale de quatre-vingt dix jours allait finalement être renforcée. De même qu'il s'est prêté a une batterie de tests psychologiques visant à déterminer, chez lui, une éventuelle inclination pédophile ou une autre déviance sexuelle. Des tests qui ont finalement conclu à l'absence de tels troubles - ce qui, là encore, ne l'innocente pas, et pour cause puisqu'il reconnait les faits.
Trois choses me posent encore problème :
1) le Quaalude, cette drogue sédative que Polanski aurait fait ingérer à sa victime "pour la détendre" avant une séance photographique (stressée, "elle n'aimait ni l'alcool ni la marijuana"...). Où l'on s'aperçoit que le GHB, la tristement célèbre "drogue du violeur", qui défrayait récemment la chronique, n'a hélas rien d'une nouveauté...
2) les autorités suisses, qui profitent, ou plutôt organisent un véritable traquenard au fautif, sous couvert d'une prétendue remise de prix. Quel genre de société procède de la sorte, dans une totale fourberie, pour capturer un homme qui n'est pas à proprement parler un fugitif - seulement persona non grata sur la sol américain, nuance ?
3) ces juges américains, qui doivent apparemment rendre des comptes à leurs électeurs (le système est là-bas différent de celui en vigueur en France, où la justice est seulement soupçonnable de s'acoquiner avec le pouvoir politique, une collusion clichesque qui se vérifie trop souvent hélas), et que l'on peut raisonnablement soupçonner d'acharnement judiciaire intéressé, soit qu'ils veuillent faire un exemple médiatique en se payant une célébrité décadente, soit qu'ils veuillent, donc, flatter leurs ouailles et assurer ainsi la reconduction de leur mandat.
Mon apparente paranoïa du dernier point vient, de surcroît, se nourrir des tout derniers développement de l'affaire. Un ancien procureur, David F. Wells, a en effet concédé mercredi avoir "enjolivé l'histoire" et recommandé au juge d'emprisonner le cinéaste. "J'ai menti, et cela m'embarrasse. (...) J'ai coûté beaucoup d'argent au bureau du procureur et envenimé les choses" a ainsi déclaré le retraité repentant.
Le comportement de Wells constitue une atteinte aux droits constitutionnels de l'accusé, sur laquelle s'appuie la défense pour demander l'annulation des poursuites contre le réalisateur en fuite.
Le documentaire Roman Polanski : Wanted and Desired - sorti fin 2008 en salles - et son auteure Marina Zenovitch pointaient déjà du doigt cet acharnement judiciaire, visant à prouver que depuis trente ans le réalisateur polonais - bien que incontestablement coupable, est victime d’une injustice. Une thèse osée, certes, mais avouons que les récentes déclarations susmentionnées discréditent considérablement la justice américaine, qui prête ainsi plus que jamais le flanc à l'accusation de cabale...